The Breeders - All Nerve

Breeders Nerve

The Breeders est un groupe qui a la vie difficile. Issu de la frustration de Kim Deal au sein des Pixies et de Tanya Donelly avec Throwing Muses et débuté comme un à-coté faisant office d’exutoire, le groupe a immédiatement commencé sous les meilleurs auspices : les deux fondatrices sont rejointes par Britt Walford, le batteur de Slint alors en standby, et enregistrées par Steve Albini. A propos de Pod, leur premier album, celui-ci parle alors de son meilleur travail, tandis que tout l'underground américain s'en entiche, Kurt Cobain en premier lieu. Sauf que les problèmes commencent vite, et ce dès la sortie de leur deuxième album et le succès planétaire qui s'ensuit ("Cannonball", vous savez). La défection de Donnelly, les problèmes de drogues de Kelley Deal, puis, plus tard, la rupture de contrat de Warner et, parallèlement, la reformation des Pixies dont Kim tient la basse, émailleront ce parcours au point qu'il n'est plus aujourd'hui que pointillés.

Leur retour sur disque est donc une excellente nouvelle, et c'est peu dire que les espoirs sont haut placés. Non pas que soit attendu une redite de leur hit de 1993 qui avait à l'époque excité MTV et toute la communité grunge, mais bien parce que leurs deux derniers albums en date, Title TK et Mountain Battles, s'ils n'ont pas eu les même echos que Last Splash, ("Cannonball", tout ça) ont forgé une identité solide à un groupe fragile. Sauf que c'était il y a 10 ans de cela.

Alors il est forcément légitime de se demander ce que The Breeders ont raison de s'entêter quand les évenements semblent leur dire qu'il vaut mieux renoncer, d'autant qu'en 2018, quand même, on est passé à autre chose.

La réponse ne met pas longtemps à venir : il ne faut pas plus de 36 secondes pour que les Breeders remontent le temps et n'enchainent les titres très ... nerveux. Le groupe n'aurait pu être plus clair, il l'est avec des titres explicites comme "Nervous Mary" et "All Nerve".  Les soeurs Deal ne sont pas apaisées du tout et le font comprendre en libérant une energie qui leur est plutôt inhabituelle. Tout cela est réjouissant dans la forme, alors que les textes sont plutôt noirs, il y est question de d'enfermement, de drogue, de distance, de la mort inattendue.

C'est "Walking with a killer" qui marque le pas et, à l'exception d'un "Howl in the summit" qui en remet une couche, la suite est du Breeders pur jus, au rythme lent, à la basse appuyée et la voix bien en avant. De fait, la structure de cet album est telle que, de façon surprenante, il est comme coupé en deux en son milieu, avec une deuxième partie nettement plus calme, l'inscrivant ainsi plus dans la continuité de Mountain Battles. Si quelques titres s'enlisent un peu ("Spacewoman", "Archangel's Thunderbird", "Skinhead #2"), elle n'en est pas moins riche, avec "Dawn : Making an effort" et ses morts-vivants et un déprimant "Blues at the Acropolis" qui se déploie au fur et à mesure des écoutes en portant un regard triste sur ce lieu d'Histoire et de tourisme mondial.

Alors quand on y repense, la question de la nécessité d'un retour ne se pose pas. Ce serait oublier qu'un artiste exerce son art sans se préoccuper d'une façon quelconque de sa réception. Or The Breeders, sans vouloir non plus leur jeter des fleurs, rentrent dans cette case. Kim aime écrire des chansons, elle en écrit. Et les Breeders de continuer leur histoire à leur rythme, de la façon qui leur plait, en artisans amateurs de vieilles guitares, qui tiennent à rester sur des enregistrements analogiques pour en garder le son, et nous en faire profiter. En espérant qu'ils ne mettront pas 10 ans supplémentaires pour remettre le couvert ...