Rock Critics - Denis Roulleau

J’avais évoqué dans la chronique de L’underground Musical en France avoir souri à la lecture du 4ème de couverture de Rock Critics, tout de grandiloquence vêtue pour célébrer la presse rock francaise. L’association du nom de Pierre Lescure, venu se fendre d’une préface sous prétexte qu’il a créé une émission de télé il y a presque 30 ans de cela, ajoutait une couche de ridicule en espérant donner une crédibilité à un livre qui ne faisait que crier vouloir figurer en bonne vue sur les étals des libraires. Mauvais calcul : comment ne pas faire douter du bien-fondé de la démarche en se montrant si arriviste ?

De retour au même endroit quelques semaines plus tard, je retombe sur ce qui était devenu l’objet d’une certaine forme de répugnance, mais je le regarde d’un œil différent, cette fois. Trop souvent j’ai forgé une opinion sur de simples apparences, trop de fois je suis revenu sur ma décision faute d’avoir été au fond des choses.

Je ne pouvais pas en rester là. Des livres sur le rock, qui plus est sur la critique rock, il n’y en avait pas tant à se mettre sous la dent que l’on puisse se permettre de passer à coté. Et puis après tout, il me fallait inspecter cela de plus prêt : la proclamation de l’exception culturelle française y compris en matière de rock, la mise en avant de scribouillards comme des héros méconnus du XXème siècle, et cerise sur le tas de boue, Pierre Lescure en invité-surprise, non, tout cela avait l’air de trop mauvais goût : il me fallait lire ce bouquin. On aurait voulu rendre le truc invendable qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Alors, par intégrité journalistique (sic), je me devais d’examiner ce qu’il en était, vérifier si l’impression première était la bonne et accepter, peut-être, d’en revenir.

Bon, pour commencer, ça commence mal : on s’y attendait, le texte Lescurien est des plus creux. Un alignement de mots inutiles et sans signification globale réelle, il n’a pas grand’chose à dire et tourne vite autour du pot. Seule ressort sa pseudo-prédiction de la chute de la presse française avant les autres du fait de son inadaptation au monde moderne, mais, las, tout porte à croire qu’il se trompe (voir ici). Raté. On passe.

Rentrons maintenant dans le vif du sujet. Le bouquin évoque certains auteurs ayant évolué dans le paysage de la presse française, surtout dans la presse spécialisé comme dans les magazines Actuel, R&F, Best ou dans une presse plus généraliste (Charlie Hebdo, L’Echo des Savanes, Libération). La période couverte est large, des années 60 aux 90’s, à raison de deux textes par quidam et d’une petite présentation plutôt bienvenue.

Les textes sont de formes assez diverses : interview pour Ardisson et Assayas, récit de voyage pour Garnier ; accompagnements de tournée avec Hendrix ou Keith Richards, ou bien il peut s’agir de simples points de vue. On reste constamment dans le champ de la pop-rock avec une forte prédilection pour les grands noms : Polnareff, Brian Wilson, Michael Jakson, Kurt Cobain, etc. mais pas que.

L’avantage est qu’il y en a pour tous les goûts, l’autre aspect étant qu’il y a forcément du déchet. Mais rappelez-vous, il faut exposer l’histoire française sous un jour positif, alors pour obéir aux consignes, on ne parlera pas de la BD centrale vieillotte, dépassée et vantarde qui fait passer Kébra pour une racaille. Et nous ne dirons pas que certains, lorsqu’on les lit, ont eut raison de poser leur stylo pour vaquer à d’autres activités plus rémunératrices. A leur décharge, il faut aussi reconnaître que l’on écrit plus aujourd’hui comme il y a 30 ou 40 ans. Et que la presse rock était encore balbutiante, que la jeunesse des auteurs et l’urgence devaient occulter un peu le souci du détail. Mais bon, quand même, de là à les mettre dans une anthologie publicitaire des dizaines d’années après…

Par contre d’autres ont la capacité de rapidement poser leur trait, et à travers le caractère de leurs écrits, à livrer de petites pépites qui plongent directement le lecteur dans leur univers. Garnier qui voyage dans la région des Grands Lacs et découvre les débuts de Devo, Pere Ubu et de The Cramps D’ailleurs tous les récits de voyage pour rendre compte de ce qu’il se passe ailleurs – seule possibilité pour le lecteur d’en prendre conscience – sont bons : Londres, le New Jersey, la Pologne en ébullition. On a un indice de la liberté de ton et d’action qui est laissé aux journalistes lorsque Lionel Rotcage, dans son ‘’Marchand de vent’’, prend le temps de nous expliquer comment il a réussi à vendre un groupe au MIDEM avant de dévoiler son imposture. Mention pour Christophe Nick et Jean-Pierre Lentin qui, chacun à travers un prisme différent –l’un avec Starshooter, l’autre avec le prog-rock – font un état des lieux du rock français à 10 ans d’intervalle. On aura aussi le droit de suivre au plus prêt un moment de vie d’Hendrix. Puis on découvrira une autre facette de Polnareff grâce à Laurence Romance qui bascule vite dans l’humour acide et l’autodérision face à la tournure inattendue que prend sa rencontre avec le personnage. Exception anglaise du livre, Nick Kent livre sa spécialité : dénuder le rock de son aura pour le faire revenir sur terre. C’est beaucoup plus glauque, mais beaucoup plus passionnant que la plastique promotionnelle trop souvent imposée. Et appliquée à Michael Jackson, la formule marche très très bien.

Après cette lecture, finalement, de quoi se rend-on compte ? Qu’un point commun détermine, avant tout autre, la valeur des critiques en général, et de rock en particulier. L’intérêt d’un texte n’est pas dans le sujet qu’il traite, mais bien la façon dont ce sujet est abordé. Et à l’heure où la critique est consensuelle et hyper tolérante, quand elle devrait être sévère pour pouvoir vraiment séparer la lie du bon vin, il est d’autant plus important d’arriver à trouver un angle par lequel attaquer son sujet et de ne pas tomber dans l’automatisme.

Une conclusion s’impose : il faut écrire petit. Coller au réel et à ce qui est vécu. Le défaut à éviter, et qui est pourtant monnaie courant, est de parler en hyperboles : projeter les protagonistes dans d’autres sphères ne serre à rien d’autre qu’à se décrédibiliser – et l’on est fatigué des icônes. Alors, une fois évités les schémas classiques d’écriture et la consanguinité avec l’artiste qui ne demande qu’à être sympa, vu que c’est dans son intérêt, alors là on peut créer des choses intéressantes. Et c’est le rôle du journaliste, son devoir moral même, que de guider le lecteur pour lui faire visiter les arcanes du rock qui, autrement, lui resteraient inaccessibles.

Et puis après, comme dirait l’autre, tout le reste n’est que littérature.

2010 - Don Quichotte