Michka Assayas - In a Lonely Place

Si Michka Assayas s'est fait connaître à notre génération d'heureux ignares, c'est par deux moyens. Le premier est le Dictionnaire du Rock, véritable petit Robert du genre paru chez Bouquins, qu'il a dirigé et dont il a participé à la rédaction. Le deuxième est son livre intitulé Bono par Bono. Assayas a profité de son amitié avec le chanteur de U2 pour mener avec lui de longs entretiens qui aboutissent à ce qui est à peu prêt convenu comme le livre de référence sur le groupe de Dublin.

Journaliste ayant débuté à Rock&Folk au début des années 80, Assayas arrive après le punk, mais est parfaitement synchro pour voir débuter la new-wave et le post-punk. Ce seront ses styles de prédilection, même si ce n'est pas forcément de qui ressort le plus dans In a Lonely Place, défendant férocement des groupes qui n'ont pas encore l'aura qu'ils ont aujourd'hui. A une époque où l'on danse sur le disco et sur la variétoche bourrée de synthétiseur et de batterie vaporisée à l'echo, Joy Division, Dexys Midnight Runners, XTC, The Smiths, Roxy Music ou encore Elvis Costello qui ne rentraient pas vraiment dans les canons.

 

Il le reconnaît lui-même, Michka Assayas est moins un véritable critique de rock qu'un fan lettré. Sa passion pouvant devenir obsessionnelle dès qu'il s'agissait de défendre les groupes qu'il admire. Et autant dire que ça laisse des traces : 50 pages sur les Beach Boys, 40 sur Joy Division/New Order, 50 de nouveau sur U2.

L'avantage de son écriture, c'est qu'elle ne s'embarrasse pas de verbiage ou de références imbitables. Son écriture est simple, directe, fluide et parfois emprunte d'un jeunisme qui s'emporte un peu.

Son style change dans ses écrits après 1988, quand Michka Assayas se voit offrir carte blanche aux Inrockuptibles. Il ne se prive alors pas pour livrer une vision désabusée de son temps avec un point de vue acide sur la politique, la culture, la consommation, la littérature, la justice bref, sur l'humanité et son état. La musique, il l'utilise alors comme expédient pour illustrer les travers d'une société qui n'a pas tenue ses promesses et qui préféra se laisser glisser dans une apathie morne et irresponsable. Des nouveautés qui ne sont que des copies, une naïveté déçue et des recettes prémachées resservies ad nauseam.

 

Cet aspect d'une époque qui «à force de vouloir ressembler à tout, finit par ressembler à n'importe quoi», il finit par le vivre au plus prêt : après avoir évoqué Céline et son Bagatelle pour un massacre, les Inrocks et ses lecteurs se retournent unanimement contre lui. Dans une France qui n'ose toujours pas faire face à son passé pétainiste et son collaborationnisme systémique, donner une valeur littéraire à un passage où il est question de l'émotion connue par la bourgeoisie, à mille kilomètres de l'antisémitisme imbécile – et mal écrit – que l'on retrouve ailleurs dans le pamphlet, non, cela ne se fait pas. Même pour une revue qui se veut de l'avant-garde intellectuelle. Pourtant, ces deux textes en lien avec Céline – le sujet de discorde et l'explication de texte en réponse aux lettres de plaintes – sont passionnants et font preuve d'une intelligence et d'une sensibilité particulières. Le deuxième texte, notamment, évoque une société de la censure par la masse avec une dominante du politiquement correct et du manichéisme en leviers d'une nouvelle forme de morale. Une vision qui 20 ans plus tard trouve encore un écho et ce malgré l'émergence d'Internet et de l'omniprésence des médias. Mais peu importe – Assayas est viré.

Il ne s'alourdit pas trop sur cet événement pour enchaîner avec des textes plus légers, et c'est bien ce qui caractérise ce livre dans son ensemble : cette capacité qu'a Assayas à introduire la littérature dans la critique rock à coups de phrases lumineuses.

Plutôt atypique dans le journalisme rock, mais pour le coup totalement salvateur.

 

2013 - Le Mot et le Reste