L’underground Musical en France

Je me baladais dans le vieux Nice cet après-midi après avoir fouillé dans les CD de la bibliothèque, quand je décidai d’entrer dans la librairie Masséna pour voir si, en plus des Possédés nihilistes de Dostoïevski traduit par André Markovitz, il n’y avait pas The Dark Stuff de Nick Kent, agglomération noire de réalités rock se finissant généralement mal. Je l’avais déjà lu deux fois et j’avais décidé pour de bon qu’il me le fallait absolument. Flânant donc au rayon musique, qu’est-ce que je trouve ? Une compilation de critiques de rock préfacée, s’il vous plait, par Mr Pierre Lescure. De quoi se tordre de rire : dans la présentation, Lescure évoque une rock-critique à la française comme les Gaullistes auraient pu vanter, à l’époque, le secteur de l’industrie. Imaginez : «  Plus qu’un savoir-faire, une culture, un art, oui un art, qui a eu son âge d’or, figurez-vous, et qui a fait la fierté de notre beau, de notre grand pays. Nous n’avions aucun groupe capable de rivaliser avec l’import anglo-saxon mais la France, pays de littérature, avait ses Yves Adrien, ses Garnier et autres Kaganski. Plus que tout, nous avons eu une influence considérable, considérable ! Rendez-vous compte, Mesdames Messieurs, que notre amour pour la musique et l’héritage littéraire particulier qui est le nôtre a produit des résultats dont nous ne pouvons que nous féliciter … » Coiffé au poteau le Manœuvre, Lescure lui marche carrément sur les plates bandes ! Non mais sérieusement, rendez-vous compte que ce pavé jeté dans la mare va perturber les néo-réacs bien-pensants accros à Pitchfork et au micro-blogging ! Voilà de quoi remettre les pendules à l’heure et c’est Lescure, déguisé en D’Artagnan, qui va se charger de redonner à la Littérature Rock Française la place qu’elle mérite ! Il ne sera pas dit qu’Internet fera la loi, bien au contraire : donnons au genre des maîtres à penser, même quarante ans trop tard, et, bien que tout le monde s’en foute, prouvons que la critique française, si elle ne veut rien dire aujourd’hui, a existé hier !

J’ai ri sous cape face à tant de nostalgie mal placée et suis sorti de la boutique sans demander mon reste. J’avais déjà dans mon sac à dos de quoi me contenter largement, un livre qui lui aussi revient sur un passé mal connu, mais sans grandiloquence ni revendication revancharde face à une injustice imaginée.

L’undergound musical en France retrace l’histoire des groupes et des mouvements qui ont vécu et se sont maintenus grâce aux moyens du bord, et ce dès les années 50. Car si l’on connaît bien la scène alternative depuis son émergence au début des années 80, et la scène indépendante plus tard, tout ce qui s’était passé avant la naissance de la radio libre restait encore dans l’ombre.

 

Voilà donc un bon coup de projecteur sur cette époque où, à l’heure où le monde se met au rock et qu’émergent les groupes qui influenceront considérablement le genre et bien d’autres, la France reste accrochée à ses vieux yé-yé et à sa chanson typiquement française. Les maisons de disque, Barclay et Vogue en tête, préfèrent mettre le couvercle sur des groupes trop originaux et perturbants en faveur de gimmicks beaucoup plus lucratifs, comme les Chats Sauvages, les Chaussettes Noires et autres agitateures inoffensifs bons pour finir sur radio Nostalgie.

Alors, l’effervescence de la fin des années 60 aidant, les groupes créent leurs propres structures, (labels, festivals, collectifs) pendant qu’autour d’eux les journalistes qui veulent parler d’autres choses que Salut Les Copains ! rendent compte de cette culture émergente en créant des magazines. Le rock n’est pas le seul concerné : la chanson réaliste, le folk, le jazz ; la pop psychédélique, c’est de tout ça dont il est question dans ce livre. Et la précision avec laquelle les faits sont racontés est digne d’historiens de la musique.

 

Après un rappel général d’une cinquantaine de pages, le livre se divise en chapitres comme autant de sous-genres : les origines et les évolutions de nombreux groupes comme Gong ou Magma y sont détaillés, et on y suit aussi de prêt l’émergence des musiques électroniques avec Richard Pinhas et Pascal Colemade, celle du punk français avec Métal Urbain, les débuts de Brigitte Fontaine. Bref, on croise pas mal de monde, et du varié. Tout ça sur plus de trois cent pages, au cours desquels on voit des artistes se rencontrer, collaborer ou se séparer. On assiste aux montages de projets et aux renoncements, mais surtout aux expérimentations qui font finalement le lien entre tous.

 

Evidemment, il n’y a aucun suspense, à aucun moment, mais les récits qui s’échelonnent tout au long de ce livre rendent parfaitement l’ambiance de cette époque que l’on s’imagine à travers cette lecture foisonnante de créativité. On assiste aux parcours des différents protagonistes et aux rencontres qui les nourrissent. A leurs difficultés et à leurs galères aussi, ne serait-ce parfois que pour enregistrer. Les portes se ferment souvent devant leur nez, mais par la force des choses, ils développent l’esprit de ce qui sera le do it yourself cher à la culture punk.

 

L’avantage de ce bouquin est qu’il sait garder un ton tout à fait académique et ne cherche pas à en faire trop. Au plus se pointe un parfum doux-amer, mais rarement. Parfois, c’est même peut-être un peu foid, prix de la neutralité sans doute, mais cela n’empêche en rien les auteurs d’atteindre leur but : rendre compte fidèlement d’un mouvement inconnu avec une réelle densité, et donner l’envie d’aller l’explorer à son tour.

 

2013 - Le mot et le Reste