Sous Culture - Le sens du style

sous culture le sens du styleDick Hebdige est un sociologue britannique né en 1951. En 1979, en plein mouvement punk, il publie cette étude portant sur les cultures urbaines, alignant son sujet avec sa méthode en refusant l’académisme universitaire, lui préférant l’alternative des cultural studies alors en plein boum.

Son introduction historique et théorique est fondamentale pour comprendre la construction d’une culture, ce qu’elle embrasse, et comment elle devient une idéologie puis une hégémonie. Illustrant ses propos par des citations de Jean Genet, Roland Barthes, Karl Marx, mais aussi beaucoup de Stuart Hall et de Ferdinand de Saussure, il explique que les transgressions passent par l’usage de codes recréant le sens des objets de tous les jours. Elles créent alors un signifiant et donc un langage, amenant à une culture autre.

Si bien qu’avant d’étudier les différents mouvements identifiés à la fois autour d’une musique et d’un style vestimentaire, l’introduction est dressée autour d’un squelette solide qui sert de fil conducteur à ce livre et que l’on pourrait représenter ainsi :

Société   → Culture  →   Langage → Sens↘

Sous - culture

Idéologie → Hegémonie → Différenciation ↗

Au cours de son historique, Hebdige ré-examine les différents courants musicaux avec un regard purement sociologique, à commencer par le reggae comme expression du déracinement et de la servitude, puis du jazz, musique qui porte en elle une contestation du goût dominant, le but étant de créer une musique qui ne puisse être ni comprise ni jouée par l'homme blanc - une fuite qui ira jusqu'au be-bop. L'auteur en profite pour décrédibiliser complètement le mouvement beat qui cherche dans une vie de bohème un idéal de liberté qu’il associe à l'Homme Noir, devenu figure paradoxale de la victime permanente répondant à son sort par sa nonchalance et sa liberté d'esprit. Une vision juvénile qui ne se démarque pas, selon l’auteur, de celle des colons du XVIIIème siècle.

Au cours de son exploration des différents courants intellectuels, et après un arrêt érudit sur le reggae et son histoire, l'analyse s'arrête un temps sur les mods. Ce mouvement qui fait son apparition au début des années 60, a pour particularité principale de se fondre dans la population, alors que les autres mouvements cherchent la différenciation par l'aspect vestimentaire. Ici, le costume est de rigueur et la coupe de cheveux est sage. Mais la différence est dans le détail de la cravate ou du modèle particulier de chaussures choisi. Le but est de ne s'adresser qu'à des initiés qui sauront se reconnaître entre eux. Le mode de vie est alors identique que l’on soit étudiant ou travailleur. Tous se retrouvent dans les boutiques de disques, les caves, les magasins de mode ou les salons de coiffure tenus par des membres de ce groupe dès que l'occasion leur ai donné. Alors que d'autres sous-cultures ont pour but de renverser la société en place, ou au moins de la changer, le leur est de la traverser littéralement en créant une sorte de sous-monde qui leur appartient à eux seuls.

Hebdige décrit avec autant de détail les rastas, les rockers, les beatniks, le glam, les hipsters, mais revient surtout sur le punk, qui est encore un terrain d’études vivace, ce qui lui donne l’occasion d’alléger son propos avec quelques traits d’humour : « Qu’on pense seulement au coup de fouet que le punk à dû donner au commerce de la friperie ! ». Écart de sérieux qui illustre néanmoins que, si Hebdige se place à une distance nécessaire de son sujet pour l’étudier sérieusement, il s’en approche suffisamment pour l’appréhender entièrement.

 

sous culture le sens du style dos

 

La deuxième partie plus théorique, est une véritable étude sociologique et sémiotique. En détaillant à la fois le terreau qui a fait naître ces mouvements (chômage et pauvreté, désir de différenciation du monde des adultes, volonté d'émancipation de classe sociale, et cætera) et leurs caractéristiques intrinsèques - rarement exprimées avec autant de clairvoyance par les membres des groupes sous-culturels eux-mêmes - Edwige donne du corps à des sous-cultures qui ne sont généralement observées que superficiellement, voir traitées avec une certaine condescendance. Il faut dire que depuis leur naissance, ses mouvements contre nature déclenchent l’ire des médias, du pouvoir, de la famille, des éducateurs et des employeurs de façon parfois très violente. Violence qui renvoie à celle, verbale ou physique, des mouvements qu'ils dénoncent (émeutes des quartiers noirs de Londres, batailles entre mods et rockers en 1964, vulgarité revendiquée des punks, etc).

En effet une société, aussi moderne soit-elle, est faite de rites et de codes admis par tous, qui constituent les fondements d’un ‘‘vivre-ensemble’’. La remise en question de cet ordre établi bouleverse cette stabilité et les valeurs qui y sont accrochées - d'où la constante dénonciation d'une immoralité des jeunes qui font connaître leur différence et, sous une certaine forme, leur renonciation.

Ces sous-cultures, qu’il démontre comme étant subversives et transverses, s’inscrivent dans l’ « anthropologie structurale qui définit la culture comme un ‘‘ échange codé de messages réciproques’’ » . Chaque génération ayant ses propres codes, le cycle de la production de sous-cultures est infini, comme le sont sa récupération et son contrôle, d’abord par les maisons de disques, puis par les médias et enfin, le marché.

« Aucune sous-culture n’échappe au cycle de l’opposition à la banalisation, de la résistance à la récupération. » Cette dernière est notamment opérée par la population blanche, entraînant une aseptisation, aussi bien de sa signification, puisque portée par une population désintéressée de son aspect subversif, que de son caractère purement esthétique, car obéissant vite aux critères du plus grand nombre – alors qu’initialement elle n’était l’exclusivité que d’un groupe parfaitement circonstancié.

L’émergence de nouvelles contre-cultures est donc amenée à se reproduire régulièrement et sans cesse, tant que la société donnera à certaines catégories de la population le désir de vouloir autre chose que ce qu’elle a à offrir. Mais aussi bien se reproduiront sans cesse l’absorption de ces contre-cultures et leur intégration, ce qui peut parfois amener une société à revoir ses positions, à évoluer vers ce quoi tendaient les membres contestataires en premier lieu, légitimant ainsi, quand il y en a, leurs revendications et leur combat.